Le 9 janvier : nous quittons Buenos Aires laissant derrière nous une ville tentaculaire, élégante, moderne mais qui, comme beaucoup de villes en Argentine et au Chili, n'a pas résorbé ses misères, comme en témoigne ce bidonville, coincé derrière la gare principale d'autobus, et si mal baptisé "Villa 31".
Nous embarquons avec bon nombre de porteños fêtant le début des grandes vacances sur un ferry pour l'Uruguay, distant d'une cinquantaine de kilomètres. Puerto Madero et ses buildings rutilants s'éloignent et nous naviguons sur le Rio de la Plata. La "voie de l'or" charrie des eaux grasses et boueuses sur lesquelles, comment l'oublier, vinrent s'écraser tant de corps jetés du ciel par les escadrons de la mort...
Uruguay, minuscule territoire entre deux géants : le Brésil et l'Argentine. Quand Portugais et Espagnols découpèrent le "nouveau monde", ce petit bout de terre était trop pauvre en ressources naturelles pour forcer le combat, on tergiversa à coup de traités. Les Portugais avaient fondé la ville de Colonia del Sacramento, les Espagnols celle de Montevideo. Toute population indigène finit par disparaître. Puis le tout petit pays gagna son indépendance au début du XIXème et la "Petite Suisse de l'Amérique du sud" connut alors une période de prospérité.
Aujourd'hui, 3.5 millions d'habitants versus 11 millions de vaches !
Inutile de préciser la spécialité culinaire.
Montevideo : 12 jours
L'élégante Montevideo nous a séduite. La ville s'étire le long du Rio de la Plata qui se confond avec l'océan en une promesse de lointains. D'un côté le port, de l'autre une immense promenade d'une trentaine de kilomètres longeant la côte, bordée de petites criques de sable doré : la rambla. On y croise des promeneurs, tasse de maté à la main, des sportifs, des familles, tout un monde joyeusement accoudé à ce comptoir d'embruns. Entre ces deux pôles, la ville, toute en contrastes. A l'angle d'une rue, un belle demeure d'esprit français, fin XIXème, s'accorde une seconde jeunesse en couleur pastel. Un peu plus loin, la splendeur d'un hôtel particulier italianisant se lézarde et se fane. Des graffitis insultent. Dans la devanture d'une boutique inchangée depuis les années 50, de ternes pacotilles attendent une impossible lumière. Et tout à coup, un bâtiment archi-moderne s'impose, aussi élégant que racé. C'est une ville comme je les aime, étonnante, surprenante, un sacré caractère !
Quelques architectures marquantes:
Au coeur de la ville, sur la place de l'Indépendance, se dresse le Palacio Salvo construit par l'italien Mario Palanti. Symbole d'un prospérité révolue, du haut de ses 95 mètres, le palacio était à la fin des années 20 un des plus hauts bâtiments d'Amérique du sud. Son style d'une lourdeur austère laisse entrevoir ce pire dont Ricardo Boffill fut l'héritier. Mais il ne s'agit ici que d'une question de goût.
Ce même Palanti construisit à Buenos Aires le Palacio Barolo, en hommage à Dante et à la Divine Comédie : 100 mètres de hauteur comme les 100 chants du poème; l'enfer, le purgatoire et le paradis distribués en trois modules architecturaux; le hall d'entrée surmonté de 9 voûtes représentant les 9 hiérarchies infernales; chacun des étages disposant de 11 ou 22 bureaux, comme le nombre de strophes des chants...
Et pour couronner le tout, au sommet de l'édifice, Palanti fit construire un phare doté de milliers de bougies permettant d'envoyer des signaux lumineux jusqu'au Palacio Salvo, de Montevideo.
Un architecte usinant un pont de lumière sur la nuit de Buenos Aires à Montevideo, voilà qui aurait plu à Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, natif de cette dernière. Mais il n'était déjà plus de ce monde...qu'aurait-il inventé ? beau comme la rencontre fortuite...
Quant à l'architecture moderne, un de ses représentants est Rafael Viñoly né à Montevideo en 1944. Il a travaillé aux États Unis, en Europe, Afrique, Asie, Moyen-orient et bien sûr en Amérique du Sud. Une belle réussite : son aéroport international de Carrasco (que nous aurons bientôt tout le loisir d'apprécier...à suivre...).
A Montevideo, nous visitons avec plaisir quelques musées où nous sommes quasiment seuls :
Le musée Joaquín Torres García (1874-1949) peintre, sculpteur, romancier, écrivain, pionnier de la renaissance du classicisme, père du "Constructivisme Universel". Il vécut à Barcelone, secondant Gaudi pour les vitraux de la Sagrada Familia; à Paris, où en 1929, il créa l'association Cercle et Carré.
Sa peinture sombre et grave devient géométriquement joyeuse, vivement colorée, quand il s'adresse aux enfants, du Bauhaus ensoleillé !
Le très joli musée d'art moderne, aux faux airs "corbusiens" accueille une exposition de Lacy Duarte (1956-2015) : son intéressant travail est particulièrement bien mis en valeur dans une lumineuse salle d'exposition aux proportions parfaites.
Plus discrète, l'expo de Guillermo Fernandez (1928) excellent dessinateur, présente des portraits dont celui de Saltoncito, facétieuse grenouille (ou crapaud?) héros de la littérature jeunesse des années 30 accroché non loin de celui de Freud...insolites rencontres!
Dans le musée d'art contemporain qui a pour cadre une ancienne prison, l'atmosphère lugubre des lieux peine à s'effacer, les cellules emprisonnent le temps d'une exposition les rêves déjantés de la toute jeune génération.
Coup de coeur aussi pour la belle libreria Puro Verso aménagée dans un majestueux magasin d'optique des années 10 : "He dormido en cien islas en donde los libros eran arboles", Lawrence Ferlinghetti. Presque aussi fascinante qu' El Ateneo Grand splendid de Buenos Aires dont le cadre somptueux est un ancien théâtre début de siècle.
Pause lecture dans des lieux magiques sur des accords d'Astor Piazzolla : el duende.
Nous partons en ballade le long de la côte, passons au large d'un village nommé Biarritz, grignotons des petits poissons frits à Piriapolis, agréable station balnéaire.
Juste avant d'arriver à la luxueuse Punta del Este, arrêt à Casapueblo. Une fantastique "maison-village" construite par l’Uruguayen Carlos Páez Vilaró (1923-2014) : artiste autodidacte, très prolifique, il a créé plusieurs milliers d’oeuvres en tant que peintre, sculpteur, céramiste, musicien, scénariste. cinéaste. Ami, entre autre, de Dali, de Picasso période Valauris, de Jean Cassou, à l'époque où il dirigeait le musée d'art moderne de Montevideo...
Casapueblo n'était qu'une simple cabane de bois, puis, tel un escargot sécrétant une coquille baroque, l'artiste, aidé de ses amis et des pêcheurs du coin, a agrandi, transformé, ajouté des terrasses, des salles de vie, des ateliers...Sur plus de quarante années, au fil de ses envies, de ses désirs, de ses besoins, il a composé un labyrinthe de courbes sensuelles, une maison femme dont la chair laiteuse s'enivre du bleu du ciel et de la mer.
Une semaine à Colonia del Sacramento, agréable petite ville au bord du Rio de la Plata où flotte un air de province tranquille : des maisons basses aux tuiles roses, des rues pavées, un original mobilier urbain fait de vieilles tractions-avant transformées en jardinières. Un clin d'œil à Dali !
Nous logeons dans une petite maison de campagne. Récréations rurales : parties de football pour Simon avec le voisin Gregorio, cache cache avec des chatons pour Hersilia, ballade à cheval...
Les lucioles piquent le crépuscule, puis la nuit s'épaissit et apparaît alors la boussole des antipodes que nous sommes très fiers de savoir enfin reconnaître : la croix du sud.
Un fraternel abrazo à nos amis uruguayens qui nous ont si bien accueillis.
Le 26 janvier 4h30 am : nous arrivons à l'aéroport Carrasco de Montevideo et nous nous envolons pour le PÉROU. Adieu le long voyage en bus, nous avons succombé à la tentation car les lignes de ce voyage s'écrivent sur du sable.