Le long de la route quittant Guayaquil, juste avant les premiers contreforts andins, de nombreuses bicoques proposent d'impressionnants monticules de régimes de bananes, étonnants empilements d'un vert virant au jaune. Autant de souvenirs des délices côtiers que les voyageurs apportent à leurs amis des hauteurs.
4 petites heures de bus à travers des paysages contrastés, un peu de bonne musique des Caraïbes, et nous voilà arrivés dans la Sierra. L'Equateur est un petit pays.
On dit que les gens de la côte sont bien plus expansifs que ceux des montagnes; en bas, on mange du riz à tous les repas, en haut, de la pomme de terre.
Cuenca 2500 m d'altitude.
Pendant 3000 ans la culture indigène cañarie s'est développée dans la région, elle disparut à l'arrivée des Incas qui furent eux-mêmes rapidement défaits par les conquistadors.
Nichée dans une vallée irriguée par quatre rivières, la ville coloniale a été fondée en 1557. Elle conserve de cette époque son plan orthogonal. Au XIXème, elle connut une période de prospérité économique telle que de nombreux hôtels particuliers, des monuments publics, une belle et grande cathédrale furent construits dans un style européen élégant. Ce patrimoine, parfaitement conservé, fait de Cuenca une des plus belles villes d'Amérique latine.
Et en effet, la ville est bien jolie avec ses rues pavées, ses murs de brique, ses toits de tuile.
Nous grimpons au sommet des tours de la Catedral de la Immaculata Conception.
Nous flânons sur la Plaza Mayor où, à l'ombre d'immenses araucarias, une statue célèbre un acteur de l'Indépendance, Abdon Calderòn. Nous goûtons l'Agua de Pitimas, une étrange décoction dont les Carmélites ont le secret et qui éloignerait les "mauvaises énergies"...
Il y a ici quelque chose d'à la fois familier et singulier qui nous enchante : nous croisons souvent des locaux qui parlent en français. Nous lisons de "vrais livres" dans la petite bibliothèque de l'Alliance française (quel plaisir après des mois de lecture version ePub...). Les liens que Cuenca a tissé avec la France depuis le XVIIIème semblent encore bien vivants.
Dans la rue La Condamine nous visitons la maison-musée de ce grand voyageur, chimiste, astronome, écrivain... fabuleux aventurier du XVIIIème, un philosophe-ambulant.
Charles Marie de La Condamine (1701-1774) : qui se souvient de lui de votre côté du globe?
Un esprit éclairé, observant, analysant, classant et mesurant le monde partout où il allât. Un personnage romanesque.
En 1739, il arrive à Cuenca avec la première Mission géodésique française. Une formidable expédition scientifique qui cherchait à déterminer la forme de la terre : marchons-nous sur un citron, pointu aux pôles (hypothèse de Descartes) ou sur une mandarine, écrasée en son centre (hypothèse de Newton)?
Le jeune La Condamine fait partie du clan des newtoniens. L'Académie des Sciences le charge de conduire une expédition de Quito à Cuenca afin de mesurer la longueur d'un arc de méridien à proximité de l'équateur tandis qu'une autre expédition est envoyée près des pôles en Laponie.
Au coeur de la cordillère des Andes, l'expédition se déroule dans un climat d'autant plus difficile que les Espagnols qui dirigent le pays se montrent bien hostiles.
Après avoir confirmé l'hypothèse newtonienne, La Condamine décide de rentrer en Europe en traversant le continent d'Ouest en Est. Un fou! En parfait encyclopédiste, il est le premier scientifique à avoir descendu l'Amazone. A-t'il entendu le chant des guerrières éponymes?
Collectant des centaines d'objets d'histoire naturelle qu'il offrira à Buffon, géographie, faune, flore, il est curieux de tout. Grâce à lui, les européens découvrent l'arbre à caoutchouc, le curare amérindien et la fameuse quinine. "Kina kina" ou "china china", la quinine ne vient pas de Chine mais bien de la cordillère des Andes. Son écorce broyée et infusée produit un très puissant fébrifuge.
"Avec deux de mes guides, je passai toute la journée du 3 juin à rassembler une dizaine de jeunes plants que je jugeais propres à être transportés jusqu’en France, où je les destinais au Jardin du Roi." raconte La Condamine.
A Cuenca, l'exploitation de cette mine permettra à de nombreuses familles de s'enrichir tant et si bien que de magnifiques bâtisses se multiplièrent dans un goût fortement marqué par le style français.
La Condamine revint à Paris en 1745. Il perdit rapidement l'ouïe à cause disait-on de ses trop nombreuses aventures dans les hauteurs extrêmes des Andes. L'excentrique affublé d'un cornet acoustique fut l'objet de risées mais il s'en moquait sûrement car il avait trouvé le trésor de sa vie en s'en étant allé jusqu'au bout de ses rêves.
Depuis le XIXème siècle, on fabrique également à Cuenca d'élégantes chapeaux de paille qui connurent un succès formidable tant en Amérique du Nord qu'en Europe. Exporté par les Espagnols via le Panama, la qualité d'un montecristi ou sombrero de paja toquilla se reconnaît à la qualité de son tissage très serré qui ne laisse pas passer la lumière. A bon entendeur!
Visites de très beaux musées. (Préparant le programme de l'année 2018-2019, je me surprends à rêver...) :
Museo Pumapungo (de la porte du Puma), charmant avec ses dioramas et reconstitutions d'habitats indigènes, effrayant avec ses tzantzas d'indiens shuars, ceux là même qui vivent à quelques kilomètres plus au sud, dans la jungle, et que l'on connaît sous le nom d'indiens jivaros.
Museo de Arte Moderno installé dans un ancien hôpital, donnant sur la belle place San Sebastiàn où fut assassiné, lors d'une corrida en 1739, Jean Seniergues, médecin de la Mission géodésique.
Centro Interamericano de Artes Populares : artisanat et design de qualité.
Promenades dans les environs de Cuenca :
Visite d'un atelier de tissage de coton et d'agave. Bleu de l’indigo, rouge des cochenilles, jaune de l’écorce du faux poivrier.
Belle randonnée avec notre guide Marco au Parque Nacional Cajas.
Quand on grimpe sur ces hautes montagnes verdoyantes creusées de vallées glaciaires, le paysage se transforme peu à peu. Au-delà de 3000 mètres, des landes arides parsemées de lagunes verdâtres abritent quelques troupeaux d'alpagas. Ils broutent une herbe sèche puis disparaissent dans une forêt d'étranges arbustes aux troncs couleur de bronze : les Polylepis appelés arbol de papel en raison de leur écorce feuilletée, les seuls arbres capables de s'adapter à ces altitudes extrêmes, entre 3 800 et 4600 mètres.
Ce paramo, biotope néotropical d'altitude, est extrêmement précieux en raison des eaux qui y naissent et alimentent les vallées, il est aussi très fragile et aujourd'hui menacé. Des parcelles de plantations industrielles de pins balafrent déjà les flancs de ces montagnes...
Merveilleuse journée à Kushi Waira où Alfonso dirige une petite communauté cañari et propose de nous initier à quelques traditions locales. Du tourisme responsable.
Alfonso joue de la guitare, de l'harmonica, de la flûte, de la kena, de l'accordéon et l'on danse avec lui. On broie des grains de maïs, mélangeons la fine farine à de la panela et on se régale.
Avec une grande douceur, il nous raconte son quotidien, nous parle de ses racines. Son amour de la nature il le doit à sa mère, sage-femme et guérisseuse. Il nous guide à travers un petit bout de forêt primaire, formidable réserve de plantes médicinales et nous rejoignons Jatun Urcu, la "haute montagne" en quechua, lieu sacré de la communauté.
Alfonso est un sage qui aime transmettre son amour de la nature, de la Patchamama et du Padre Sol. Tout là-haut, entre ciel et terre, sur une nappe blanche posée au sol, nous partageons un délicieux déjeuner.
Sur le chemin du retour, nous croisons le Chemin de l'Inca qui file jusqu'à Cuzco. Là, les ocres de la terre s'irisent : jaunes, orangés, rouges, ombres violettes.
Dans le même temps, Hersilia et Simon travaillent beaucoup et très sérieusement d'autant que nous nous octroyons deux semaines de vacances : direction les Galapagos!