Puerto Igazù - Salta : 22 heures de bus.
Pour ce type de trajet, nous empruntons des bus extrêmement confortables. Ce n'est pas un luxe dans cet immense pays qui s'étire sur presque 4000 km du nord au sud...Les paysages défilent, collines rouges, marais peuplés d'oiseaux sauvages, plaines habitées de troupeaux guidés par de vaillants gauchos..Même en 2de classe d 'attentifs stewards s'occupent de notre restauration avant que les sièges ne se transforment en lit.
15 jours dans le Nord Ouest argentin.
Nous approchons les Andes en douceur.
1ère semaine : Salta
1200 m d'altitude.
Déployant son plan orthogonal dans une large vallée, cette jolie petite ville a été fondée au XVIème siècle. Son histoire européenne se lit encore dans les nombreuses églises dont les façades rutilantes, magenta, ocre, semblent avoir été peintes du jour. La ville a été prospère comme en témoignent les élégantes maisons. Elle reste vivante culturellement : danse, beaux-arts, musique...Nous avons apprécié, un soir de pleine lune, une jam-session aux portes de la bibliothèque municipale.
Visite du petit mais charmant Musée Pajcha, fruit de recherches anthropologiques autour de la culture andine menées par un amateur passionné. La collection combine judicieusement des objets anciens et des pièces d'artisanat récent, l'hier et l'aujourd'hui dialoguant. Un guide un peu loufoque mais qui parlotte français nous initie aux cultures amérindiennes : Quechuas, Patagons, Mapuches...Sur une photographie du siècle dernier grand-mère, mère et fille, richement vêtues, parées de lourds bijoux d'argent, fixent l'objectif avec sérieux, comment auraient-elles pu imaginer que leur culture se figerait bientôt dans l'écrin sombre d'un musée?
Visite du Musée archéologique : notre première approche de la culture Inca est saisissante.
Au milieu du XVème, les Incas étendirent leur empire vers cette région des Andes. Nous découvrirons bientôt ces montagnes sacrées qui furent le lieu d'étranges et cruelles cérémonies. Tout là haut, à 7000 mètres, là où la terre semble toucher le ciel, des enfants, souvent d'origine noble, étaient parfois sacrifiés comme offrandes propitiatoires. Après avoir été étourdis d'alcool, ils étaient abattus afin de rejoindre leurs ancêtres, assurant ainsi aux vivants protection et fertilité. Les conditions extrêmes de haute montagne ont permis la conservation de quelques momies exposées aujourd'hui dans le musée : petits corps recroquevillés et ligotés, visages presque vivants, symboles d'une soumission muette. Et pourtant elle tourne...
Nous quittons Salta pour approcher de plus près les fantastiques montagnes, boycottons le trop célèbre "tren a las nubes" et prenons un bus comme les gens d'ici. Pour une Landaise, l'expérience est éprouvante. Nous plongeons dans des nuages laiteux, le chauffeur conduit avec assurance mais d'une seule main.
"Ça doit ressembler à ça l'arrivée au paradis" commente Simon.
Le ciel se dégage, nous croisons quelques motards mais pas le moindre cycliste. Sauf dans mon imagination : là, dans ce virage serré, alors que la vieille Europe est déchirée par la guerre, il peine dans la montée mais nous sourit de son joli sourire. Il est un tout jeune homme et rêve peut-être déjà de la vaillante Norton 500 qui l'amènera bien au-delà de ces montagnes.
2de semaine : Cachi.
2280 m d'altitude.
L'air est pur, vif, tranchant, la lumière cristalline. Au loin, le Nevado de Cachi parade du haut de ses 6380 mètres, sa cime blanche crève le bleu du ciel.
Dans ces vallées Calchaquies d'immenses cactus candélabres, cinq fois plus grands qu'un homme, jouent aux sémaphores guidant "ces êtres étranges venus d'ailleurs" pour lesquels un farfelu land artiste anonyme a construit une piste d'atterrissage. Des amoncellements de pierres dessinent, en guise de bienvenue, d'immenses cercles, étoiles et fleurs.
La puissance altière de cette terre sauvage, nous fait comprendre pourquoi les amérindiens d'ici opposèrent une résistance farouche à la domination espagnole.
La bourgade sommeille aux heures les plus chaudes de la journée. Le soleil s'auréole d'arc en ciel. La lumière cisaille les contours des maisons, on se croirait dans un tableau de Giorgio de Chirico. Puis la vie reprend, visages souriants, cheveux noirs de jais, beautés andines. Le soir, le Cyclope joue à la marelle sur les étoiles alors que juste de l'autre côté des montagnes, dans le désert chilien d'Atacama, tous les plus grands explorateurs de l'univers s'affairent autour de leurs télescopes.
Nous logeons dans une adorable et pimpante maison qui, comme l'annexe dont nous voyons le chantier évoluer, est construite dans le respect des traditions locales : briques de terre crue, poutres d'eucalyptus et décoration en bois de cactus.
Nos adorables hôtesses, Veronica et Lili, nous font découvrir des lieux magiques et reculés, des thermes naturels où une source d'eau brûlante embrasse une cascade fraîche...
Elles nous promènent en 4x4 : Route 40, nuage de poussière, lamas, alpagas, vigognes et guanacos, tisserands, ponchos, puis un lac vert émeraude dans lequel vivrait un monstre, envol d'un flamand rose, plus haut, montagnes de grès, ocre rouge, sable, vert de gris, éclats de mica, dédales tectoniques.
Un oasis.
Nous sommes arrivés à la Bodega Colomé réputée pour l'excellence de ses vins et son Musée James Turrell.
Il faut être un Suisse fou pour avoir eu le culot de cultiver des vignes à cette altitude, dans ce fin fond du monde. Donald Hess, son fondateur, l'a eu. Le petit brasseur de bière possède aujourd'hui des domaines vinicoles dans le monde entier sauf en Europe. C'est aussi un collectionneur renommé dont la motivation me paraît cependant suspecte :" Il existe une correspondance entre l’œuvre de l'artiste et celle du vigneron. Le premier est tout seul, au moment de l’assemblage de ses cuvées, le second, devant la toile blanche. L’un et l’autre se demandent par quoi commencer. Et les deux font quelque chose de simple pour nous émouvoir. "
Un peu court.
Et encore : «Dans mes domaines, l’homme vient pour le vin, la femme pour les tableaux».
Sa collection se compose de dessins d'Henri Michaud, d'œuvres monumentales de Marina Abakanovicz, de sculptures de Georg Baselitz, de peintures de Francis Bacon...mais son artiste fétiche c'est James Turrell. Il lui ouvrit son estancia en 2009.
James Turrell a étudié les mathématiques et la psychologie, il est passionné de phénoménologie. En tant qu'artiste, il intervient sur l'environnement et travaille avec la lumière. Propriétaire d'un volcan, il y a conçu une de ses installations les plus extraordinaires ( peut être l'objet d'un prochain voyage, qui sait ?).
Ses œuvres sont indescriptibles car James Turrell ne raconte pas, il donne à voir. Je vais pourtant tenter l'expérience : une salle sans fenêtre éclairée d'une lumière bleu virant au parme, les murs sont entièrement nus, leur surface d'une matité duveteuse. Face à l'entrée, un immense rectangle aux angles arrondis, en légère saillie, derrière lequel une lumière d'un blanc nacré s'évade pour caresser les parois. Rien de plus. Mais, si on lui en laisse le temps, comme avec un tableau de Rothko ou un monochrome d'Yves Klein, la couleur-lumière finit par devenir mouvante, vivante, et ici, l'espace n'a plus rien de matériel, il est devenu couleur. Une autre : en traversant lentement un couloir de lumière successivement rouge, vert, bleu puis violet, il semble que nous marchons dans un monde sans contour comme celui vaporeux que l'on parcourt parfois dans les rêves.
Enfin, avant de quitter ce lieu, à l'heure où le jour décline et que scintillent peu à peu les étoiles, on s'allonge sur le sol de pierre noire d'un Skyspace, patio entouré de pilastres, ouvrant sur un bout de ciel bordé d'un cadre blanc. Parfaitement orchestrée, un chœur de lumières électriques colore les parois, enchaînant les basses du bleu, ou du vert aux aigus du rose et de l'orangé alors que le bleu du ciel joue sa propre mélodie disparaissant parfois par contraste ou reprenant soudain sa souveraineté. Le ciel était vivant, on l'a touché des yeux.
Mais pourquoi donc interdire ce musée aux enfants de moins de 13 ans? Heureusement, nous avions un peu triché.
Nouveau voyage en bus, cap vers le sud en longeant les Andes.
20h plus tard nous sommes à Mendoza.
De là, nous traversons d'incroyables paysages de montagnes et traversons la frontière chilienne.
Prochaine étape : Valparaiso.