J'espère que la gravure de l'article précédent vous aura donné envie de faire des recherches sur les Panotéens, habitants des antipodes, si ce n'est pas le cas, allez y, c'est l'occasion de se promener aussi bien dans les chroniques du XVIeme que dans les récits des premiers navigateurs, on peut même y croiser Umberto Ecco. Bon voyage !
Au cours de promenades dans la ville, nous croisons de nombreuses sculptures de Bourdelle, Carrier-Belleuse, Rodin : Centaure mourant, Heracles archer, Monument au libérateur José de San Martin, héros tout autant admiré que Bolivar, le Baiser, plusieurs versions du portrait de Balzac... Les sculpteurs français ont eu leur heure de gloire grâce à leurs amis argentins exilés à Paris.
Dans les collections permanentes du Musée des Beaux-Arts : beaucoup d'écoles européennes, un peu italienne, surtout espagnole; certaines cimaises bleu de Prusse sont assez surprenantes mais finalement convaincantes; pour le XIXème, essentiellement des Français, quelques jolis Corot et les inévitables Monet, Manet (dont une grande scène de canotage inachevée assez étrange), puis Rothko, Henry Moore...on y cherche les argentins.
Je passe rapidement l'installation de Boltanski irrésistiblement attirée par la salle consacrée à Lucio Fontana.
Fontana était argentin et même s’il passa une grande partie de sa vie en Italie, c’est bien à Buenos Aires qu’il élabora son « Manifesto Blanco ». C'est un peu à cause de lui que je suis ici aujourd'hui, je m’imprègne des lieux dans l’espoir d’y sentir l’esprit de son utopie. La méthode d'investigation à défaut d'être efficace a un côté désuet qui m'enthousiasme. Quant à mettre en relation le spatialisme de Fontana avec les recherches menées à la même époque par les astrophysiciens, une hypothèse pertinente, merci à Pierre, mon niveau d'espagnol ne me permet pas de travailler sur le sujet. Aux hispanophones d'étudier la question. En quelques œuvres seulement le parcours original de l'artiste est bien mis en valeur.
Nous avons la chance d'être à Buenos Aires à l'occasion du 1er Festival d'Art contemporain, nous ne visiterons que quelques sites, ils sont nombreux. Au Musée des Beaux-Arts, des portraits XVIIIeme dialoguent avec l’installation de Robert Filliou, le cercle de dés, Eins. Un. One… ils nous rappellent qu’« un coup de dé n’abolira jamais le hasard ».
Musée d'Art Moderne de Buenos Aires.
Collections permanentes : l’accrochage fait une large place à l'abstraction géométrique argentine peu connue en Europe. Rien de froid ni de cérébral parce que la richesse colorée l'emporte sur la rigueur des plans. C'est frais, c'est gai.
Puis je découvre les œuvres de Liliana Maresca, artiste engagée, avide d'expériences, travaillant autant la sculpture, le dessin, la photo, que l'installation ou le happening...
Il me reste l'envie d'en savoir plus sur les avant-gardes et l'underground d'Argentine.
La balade se termine dans le "cabinet secret" de l'Argentin Tomas Saraceno.
Cet hiver, à l'occasion de l'exposition "Une brève histoire de l'avenir", au Louvre, nous avions découvert une de ses œuvre. C'était une vitrine carrée, présentée dans la pénombre, dont le contenu était mis en valeur par un faisceau de lumière. Il fallait s'approcher pour observer le savant entremêlement de fils, aussi fins qu'un cheveu, fils blanchis de poussière de talc.
L’artiste capture différentes espèces d’araignées puis leur construit des structures métalliques autour desquelles elles fixent leurs toiles. Chacune ayant une stratégie particulière de chasse, les tissages varient, créant ainsi dans l’installation des réseaux aussi improbables qu’incroyables. La première toile s’enroule au fil virtuose d’une seconde qui prend elle même appui sur l’ingéniosité d’une troisième qui n’a pu démarrer son ouvrage que grâce à la dextérité de la suivante, etc.
La petite vitrine du Louvre avait ici la taille d'un cabinet de curiosité, amplifiant l’effet de fascination. Ce métissage de savoir-faire, ce partage de compétences, appliqué à une échelle humaine fait rêver.
Voilà quelques impressions capturées dans cette grande ville. Élégante et chaotique.
Il est temps pour nous d'oublier nos repères européens.
Il est temps de nous éloigner des pages sombres de l'histoire encore écrite sur les trottoirs de Buenos Aires.
Nous partons vers le Nord, au pays du maté, vers ces jungles dans lesquelles Saraceno a libéré les tisserandes leur travail accompli, entre Brésil et Paraguay.