3 juillet : voyage en bus de Quito à Missahualli, 5 heures.
10 jours dans la jungle.
Nous voilà dans la selva : la forêt humide tropicale amazonienne, un fascinant écosystème où, dans cette végétation exubérante, l’un des habitats végétaux et animaux les plus riches et les plus complexes du monde, au milieu de cette flore et de cette faune prolifiques, se trouvent d’extraordinaires variations de macro et de micro-habitats. Le coeur palpitant de la Pachamama.
En 2008, l’Équateur a été le premier pays à reconnaître officiellement les droits de la nature. Plutôt que de traiter la nature comme un bien, l’Équateur reconnaît que la nature a des droits constitutionnels, ayant le «droit d’exister, de persister, de maintenir et de régénérer ses cycles vitaux. »
Sur la place du village de Missahualli, une sculpture monumentale représente de gigantesques singes capucins. Ceux en chair et en os marchent avec agilité le long des fils électriques, chapardent des bananes aux étals, dévissent des bouteilles de soda pour les boire d'une traite, l'un d'eux se frotte le pelage d'un oignon frais, insolite parfum...Ces monos sont incontestablement adorables mais si vulnérables : d'irresponsables touristes les attirent avec de toxiques gâteaux, juste pour la photo, certains s'électrocutent sur les branchements de fortune...Une campagne de vaccination fut même fatale à certains d’entre-eux. L’enfer est pavé de bonnes intentions.
Le village longe le Río Napo, (1 400 km), formidable rivière qui grossit les eaux de l’Amazone et prend sa source dans des volcans dont le célèbre Cotopaxi. Ce Rio est fascinant. Un jour, large et tranquille, nous y plongeons sans crainte depuis une petite plage de sable brun. Le lendemain, alors que de fortes pluies en montagne ont gonflé ses eaux, il gronde comme un torrent, boueux, charriant des arbres arrachés, cadavres de géants.
Nous mangeons du poisson de rivière cuit dans une feuille de bananier, nous buvons le thé local, la guayusa. Hay una leyenda ecuatoriana que dice que en el lugar donde se beba guayusa se ha de volver. Et on y croit!
Nous passons une délicieuse après-midi dans la communauté de Sinchi Warni, une communauté essentiellement composée de femmes. Avec l'une d'entre elles, nous fabriquons une cordelette végétale que nous teignons de curcuma fraîchement cueilli, nous collectons des graines noires, brunes ou rouges puis nous tressons des bracelets.
Ces petits bonheurs emplissent tous nos sens : un extraordinaire cadeau. Mais, l'aventure ne s'arrêtât pas là car notre chemin croisa celui du français Théo et de sa compagne équatorienne, Zarie. Dans leur lodge, à 40 km en aval du village, non loin de la communauté indigène de San Pedro de Sumino, en pleine jungle primaire, un séjour est organisé pour une famille de touristes allemands et leur traductrice MarieJo.
Si cela nous plait, nous pouvons nous joindre à eux.
Marie, David, peintre, et leur fils Corentin nous accompagneront pendant 2 jours : une nouvelle très belle rencontre.
There's a starman waiting in the sky
He'd like to come and meet us
But he thinks he'd blow our minds
There's a starman waiting in the sky
He's told us not to blow it
Cause he knows it's all worthwhile
He told me:
Let the children lose it
Let the children use it
Let all the children boogie
5 jours d'immersion au coeur de la jungle.
Pour rejoindre le lodge nous naviguons 2 heures en pirogue. Panoramas fabuleux sur la cordillère Napo-Galeras et le volcan Sumaco où vivent des ours à lunettes, des pumas, des jaguars...
Arrêt à l'AmaZOOnico, une ONG fondée en 1993. Dans ce refuge pour animaux traumatisés par leur captivité, des perroquets, des toucans tout en couleurs retrouvent peu à peu leur beau plumage. Un anaconda coule des jours heureux depuis qu'il a été éloigné d'un dompteur malveillant. Un tapir, retrouvé dans une valise, somnole sous les feuillages. Une maman jaguar s'occupe de son fils adoptif. Des singes de toutes sortes cavalent, enfin insouciants...Un jour peut-être repartiront-ils vivre dans leur milieu naturel.
Nous arrivons au lodge, en pleine forêt. Dans les cabanes de bois sur pilotis pas de vitre aux fenêtres mais les moustiquaires et l'odeur âcre d'insecticide rassurent.
Promenades de jour comme de nuit aux alentours du lodge ou dans la réserve du Jaguar, mille hectare de forêt vierge que Théo et Zarie souhaitent préserver des activités pétrolières, minières et forestières qui menacent la région.
Nous nous déplaçons en pirogue. Quand les eaux du Napo sont trop basses, nous poussons l'embarcation.
Hersilia est couronnée reine de la végétation.
Notre guide Ramon nous raconte l'histoire de l'arbre-qui-marche et celle de l'arbre-aux-sexes-du-diable. Il nous emmène jusqu'au majestueux ceibo, si grand, si vieux. Il griffe respectueusement le caoutchouc, l'arbre au sang de dragon qui perlent en blanc, en rouge. Dans ce fouillis humide d'arbrisseaux, de mousses, de fougères, il repère les herbes médicinales. Dans ces entrelacs de ronces, il reconnaît les lianes : l'étrangleuse ou bien la "liane amère des esprits" avec laquelle on fabrique l’ayahuasca, consommée par les chamans. Ramon souffle sur l'étoffe du monde.
Scorpion, tarentule, araignée-scorpion, minuscule grenouille vénéneuse, gros lézard à pois vert, faux serpent-corail, lagune aux caïmans, oisillon endormi sur une branche basse...
La nuit étoilée résonne du chant de la terre.
Nous sommes accueillis dans des communautés où dans les maisons de bois un feu brûle de jour comme de nuit : préparation du chocolat, du café, poterie traditionnelle, peintures corporelles au roucou, le fruit de l'arbre-rouge-à-lèvre dont on écrase les graines pour en extraire un colorant orangé. Ce même colorant est utilisé dans l'industrie agro-alimentaire, l'esprit de la forêt sur nos tables : cheddar, biscuits Chamonix à l'orange...
Nous suivons la demi-finale France-Belgique en direct, sur le poste de télévision d'un petit café en plein milieu de la jungle mais laissons aux indigènes la coupe d'alcool de palme qui doit frôler les 90°.
On se lance au-dessus des flots accrochés à une longue corde, on pêche un piranha, on se laisse porter en tubbing par le Rio.
On s'initie à l'orpaillage : l'or descend des montagnes sur des chemins de pluie et saupoudre les rives du fleuve. La technique est exigeante, le geste précis pour laver les graviers dans un grand bac de bois et dégager un peu de limaille mêlée à quelques graines d'or pur. Les jours de chance, nous dit Ramon, une dizaine d'heures de travail permettent d'extraire un gramme d’or vendu 35 dollars.
Les Chinois ont une autre technique, plus rentable : ils louent des parcelles en bordure du Rio, rasent toute végétation puis avec des monstres mécaniques, ils labourent la chair de la terre pour lui arracher ses particules d'or. Et ils repartent, insensibles aux gémissements de cet être violé, leur balafreuse en main.
Ici, en Equateur, après une succession de présidents destitués par le peuple, une nouvelle ère s’est installée avec l’arrivée au pouvoir de Rafael Correa en 2007 mais très vite ses positions présentées comme avant-gardistes ont tourné à un hyper-présidentialisme entraînant un gigantesque endettement que la Chine promet d'éponger en échange de certaines faveurs.
Retour à Quito en bus où nous bouclons nos valises.
Adieu broméliacées, caroubiers, kapokiers et bosquets de néfliers.
Adieu najarilla, durasno, avocat, mangue, mangoustan et yuca.
Au revoir les amis et merci à Gabie, Janet et Eugenia, Francine, Sandra, Cedric et Mathias, Eduardo, Théo et Zarie.
16 juillet : Quito-Guayaquil, 1 heure en survolant le “boulevard des volcans”.
Vol Quayaquil-Madrid : 12 heures
Simon perd sa 4ème dent de voyageur au large de Cali, Colombie.
17 juillet : bus Madrid-Paris 18 heures.
Nous avons refermé à demi la boîte à trésor pour que reposent en paix ces puissants souvenirs et dans la pénombre de l'oublieuse routine ils sauront s'envoler au gré de leurs envies pour iriser le ciel de notre présent comme des forces rares.
Elle est pour toujours belle l'aventure!