Le 17 octobre, nous partons de Buenos Aires vers le nord du pays.
1500 km - 20 h de bus : nous sommes dans la province de Misiones, la Mésopotamie argentine, autrement dit "le pays entre deux fleuves" : le rio Paraguay et le rio Paraná, à peine moins long que l'Amazone. Sur une carte ou vus du ciel, les lits des fleuves forment de formidables méandres, des excroissances capricieuses, qu'ils aient été considérés jadis comme des divinités ne m'étonnerait pas.
C'est le pays des indiens guaranis (voir ou revoir Mission de Roland Joffé).
Terre ocre rouge. Végétation tropicale.
On y cultive l'herbe à maté, la boisson nationale que beaucoup d'argentins sirotent à longueur de journée dans de jolis petites calebasses.
15 jours à Puerto Iguazù
Si nous séjournons si longtemps ici c'est pour prendre le temps de nous acclimater à notre nouvelle vie, c'est aussi car de violents orages accompagnés d'averses impressionnantes nous retiennent dans notre jolie maison. Rien de bien luxueux mais la gentillesse des hôtes fait oublier les quelques rares désagréments. Sauf le soir, quand nous allumons les lumières, elles sont si froides qu'elles irritent comme une craie crissant sur un tableau noir.
Nous y disposons d'une cuisine pratique pour les inévitables pâte ou risotto. Cependant, pour varier les plaisirs, des trésors d'imagination sont nécessaires car les supérettes de quartier étalent comme une plainte les mêmes conserves de thon, maïs, cœur de palmier...Nous habiterons près d'un marché la prochaine fois. Il est plus simple de se procurer des fruits, mangue, maracuya, ananas, ou encore ces délicieux empañadas. Le week end, régime unique : grillade, pour le plus grand plaisir d'Hersilia !
Les matinées sont généralement consacrées à l'école, Hersilia et Simon y mettent la meilleure volonté, les premiers devoirs ont été envoyés, les premières notes sont arrivées, elles sont excellentes.
L'après-midi nous nous promenons et avec nos bonnes chaussures de randonnée nous pourrions faire le tour de la terre...Parfois nous empruntons les pittoresques "collectivo", chargés sans être bondés, cahotants sur des chaussées percées d'ornières, nous mêlant aux écoliers en uniformes, aux ménagères rentrant du marché...le chauffeur a souvent son petit poste radio qui diffuse en douceur un peu de musique.
La ville, construite entre le rio Paraná qui la sépare du Paraguay et la rivière Iguazù, frontalière du Brésil, présente un paysage chaotique d' immeubles bas et de maisonnettes, plus ou moins soignés, plus ou moins achevés, aux façades de brique, ou peintes en orange, rouge, violet, sagement blanches parfois, de placards d'affiches, de murs peints de scènettes naïves.
Pour le son, il est facile d'imaginer la cacophonie des moteurs, voitures, mobylettes transportant la famille au complet, et de la musique, beaucoup, souvent, du bon folklore local.
En étant attentif on finira par entendre des oiseaux trouvant refuge dans une végétation luxuriante qui arrive malgré tout à s'imposer, palmiers, manguiers, bosquets de bambous gigantesques, variétés d'acacias et bien d'autres espèces dont j'ignore le nom.
Rester si longtemps à Puerto Iguazù nous aura permis de revenir par trois fois dans l'exceptionnel parc national, côté argentin et côté brésilien. Nous n'y croisons ni tapir, ni jaguar, ni puma, mais des coatis, des lézards, des toucans. Et des papillons par centaines qui, comme dans un roman d'Ernesto Sábato (Le tunnel, L'ange des ténèbres ou bien Alejandra, je ne me souviens plus...), volent tout près de nous.
Nous avons pu apprécier longuement les beautés fascinantes des cataractes. Car la rivière Iguazù, charriant jusque-là calmement ses eaux ocre rouge, décide ici de plonger brusquement en un vertigineux à pic. Elle rugit alors d'éclaboussures irisées d'un rayon de soleil ou d'un éclat de lune. C'est beau à couper le souffle. C'est puissant à arracher ces larmes trop lourdes pour être pleurées. Côté brésilien, après avoir cheminé dans une jungle perlant d'humidité, on découvre l'immense panorama s'étendant sur des kilomètres. Le chemin descend ensuite, on frôle une des cascades, on boude les capes de pluie proposées par les guides et on s'abreuve des forces de cette nature dans laquelle rodent toujours des dieux jaloux. Côté argentin, depuis la passerelle de métal surplombant la "gorge du diable", enivrés d'intensité, comme les martinets qui plongent dans l'écume, nous oublions.
Ce voyage n'était pas un projet insensé.
1er novembre : nous prenons un bus pour Salta au nord ouest du pays.